Charles Brunet vous aura à l’usure

Portrait d’un humoriste « punk » québécois qui rit à contre-courant.

Charles Brunet vous aura à l’usure
Couverture : Malia Kounkou + Photo courtoisie
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De temps à autre, vous recevrez des portraits de celles et ceux qui hackent la culture web et pop d’aujourd’hui. Voici le tout premier.

« Merci! Non..! Je suis en entrevue. Mais merci beaucoup! »

La célébrité n’attend pas.

Assis au soleil en plein parc, Charles Brunet interrompt brièvement notre conversation pour répondre à des fans venus timidement le saluer et, si possible, prendre une photo avec lui. Un nouveau degré d’attention dont il est bien loin de se plaindre, mais qu’il admet devoir encore apprivoiser.

« Le phénomène d'avoir des yeux rivés sur moi est quand même très récent », me partage l’humoriste québécois âgé de 25 ans. 

Il est arrivé sur mon fil d'actualité en 2023, avec une vidéo expliquant le bon degré d’agressivité à maintenir pour remettre un vélo Bixi dans sa borne.

@profil_interessant

Aucun bixi n’a été maltraité durant ce tournage🚲 #fyp #quebec #montreal #bixi #velo #vélo #route #osheaga

♬ son original - Charles Brunet

Depuis, son public ne cesse de croître à vue d’œil, tandis qu’il enchaîne les tournées provinciales, remplit l’Olympia, immortalise son passage au Théâtre National puis s’envole vers la France pour d'autres spectacles. 

« Je ne suis passé par aucun canal conventionnel, aucune télévision, aucune radio. Les réseaux sociaux m’ont littéralement donné une carrière », réalise celui qui tutoie les 200 000 abonnés sur Instagram et les 225 000 sur TikTok.

PRODUIT FAIT MAISON

Si aujourd’hui, l’iceberg de sa carrière émerge de façon très visible, ses fondations, elles, remontent bien plus tôt dans la ligne du temps. Dès ses huit ans, Charles s’amuse déjà à tordre des formats existants pour les plier à son humour.

Parmi eux, Le Journal d’un Dégonflé, ce carnet fictif dans lequel un certain Greg relate ses mésaventures de préadolescent. Charles en fait une « version maison » qui aura pour seul et unique public sa sœur, Ariane Brunet, qu’il aime surnommer sa « Day One ».

« Ma sœur m'a tellement aidé, surtout au début. Quand j’ai commencé l’humour, je me fiais à elle pour savoir ce qui était drôle et ce qui ne l’était pas. C’est un génie qui comprend l’humour de la même manière que moi », partage-t-il.

À 12 ans, Charles réitère l’expérience en s’attaquant cette fois-ci à l’institution québécoise du Bye-Bye, cette revue satirique de l’année que la province entière attend anxieusement devant son écran chaque 31 décembre. Pour son spectacle de fin d’année, il en détourne le concept et se délecte des glapissements choqués de son école « full privée, full conservatrice ».

Mais c’est bel et bien Internet qui mettra la machine en marche.

Depuis 2019, Charles publie sur ses réseaux des scènettes et extraits de rodages sur un éventail de sujets si large que rien n’y échappe : le fils de Justin Trudeau, le catholicisme, Tim Hortons, la crise du logement, sa vie sexuelle ou encore la panique très lisible dans les yeux de votre psychologue croisée dans la rue.

@mamzelle.brunet

Tag ta psy en commentaires pour gagner une beer 🍻😂 Avec l’incroyable: @Charles Brunet #humour #festival #summer #psy

♬ son original - Ariane Brunet

« Je travaille tout le temps, mais aussi jamais. C’est une dichotomie quand même drôle dans mon métier. Je ne sais même pas si je le considère comme un métier », explique celui qui n’a jamais eu de phase "astronaute ou médecin". 

Dès le départ, vivre d’éclats de rire était une évidence.

Une bouée de sauvetage, aussi. Lorsque ses parents divorcent, Charles choisit d’affronter ce déchirement sur scène, en y apposant des blagues comme pansements personnels et fédérateurs.

« Et c’est ce que j’aime avec l’humour! Tu peux parler de n’importe quel sujet, sans limite. Tant que ça fait rire, tu as réussi, parce que le rire est une expérience commune. Ce sont des gens qui se reconnaissent entre eux », dit-il.

Il en a eu la preuve lors de ses deux représentations en France, un territoire réputé pour bouder le français québécois sans sous-titres. C’est donc une petite fierté pour lui d’être parvenu à faire salle comble sans avoir à se diluer culturellement.

« Il y a souvent cette perception que le public français ne comprendra pas notre truc. Mais à mon spectacle solo, je faisais des jokes sur le fucking Tim Hortons en disant "bro" à chaque deux phrases. Et ils riaient. »

La clé? Amener sa réalité au public sans l’infantiliser, car ceux qui veulent adhérer se donnent toujours la curiosité de le faire. Et à l’enthousiasme perçu sur scène, Charles a senti que cette honnêteté trouverait toujours son écho, qu'importe le côté de l'Atlantique.

TROLLER POUR MIEUX RÉGNER

Ce refus de se diluer est un moteur quotidien pour Charles, qui se considère « punk » dans l’âme, même lorsqu’il n’est pas prophète dans son propre pays.

« Très vite, j’ai eu accès à l’opinion de la population sur ma personne. Ils n’aimaient pas du tout ce que je disais, ce que je faisais, comment je m’habillais, qui j’étais », constate-t-il.

Il n’est pas rare qu’il reçoive, en commentaires ou en messages privés, des insultes et variations fleuries du mot en N, certains internautes voyant dans son franglais et son franc-parler la preuve incontestable qu'il se comporte « comme un Noir ».

« Ça m’énervait au début, mais je sais que je suis à la jonction de beaucoup d'enjeux qui, culturellement, au Québec, ne sont pas vraiment intégrés », relativise-t-il.

Être aimé importe bien moins qu’être respecté, m'assure-t-il. Son baromètre d’importance semble être la reconnaissance de ses pairs et de ceux qui comprennent son art ainsi que sa perception du monde.

« Le grand public n’a jamais été un objectif. La raison pour laquelle les gens vont t’aimer va aussi être celle qui poussera d’autres à te détester. Donc tant qu’à être apprécié pour quelque chose, j’espère que ce sera pour la forme la plus pure et honnête de mon art », souhaite-t-il. 

Cette posture l’aide non seulement à métaboliser la critique, mais aussi à s’en jouer avec la malice d’un enfant issu de la « culture du trolling », comme il se définit lui-même. Si quelqu’un ne l’aime pas, il se fait toute une joie d’en rajouter une couche.

« C’est facile de les manipuler ; j’ai l’élément qui les choque », lance-t-il en riant.

« Je fais une, deux, trois blagues, et s’il y en a une que tu trouves vraiment bonne, tu es pris en dualité face à toi-même », poursuit-il.

« Et là, tu te dis : "Je ne l’aime pas… mais il m’a eu" », se délecte l'humoriste.

Derrière cette désinvolture, une stratégie : celle d’avoir chaque hater à l’usure.

Car du choc initial naît souvent une curiosité qui pousse à revenir malgré soi, comme pour mieux comprendre cette dissonance. Et avant même de s’en apercevoir, boum! L’adhésion est là.

Il a lui-même enduré ce processus en devenant fan du groupe de rap expérimental Death Grips.

« Au début, je trouvais ça drôle. Puis, à un moment donné, j’ai trouvé ça sérieusement bon. Même chose pour l’album ...I Care Because You Do d’Aphex Twin! Un jour, ça a juste cliqué dans mon esprit et je me suis dit : "holy shit, non, je comprends maintenant" », s’exclame-t-il. 

S’ensuit une tangente musicale obligatoire où chacun y va de ses exemples d'artistes préférés suivant ce même schéma de résistance initiale puis d'acceptation totale tardive.

Les miens resteront à jamais Miley Cyrus et Yung Lean.

Leur marque de fabrique? Trouver une formule qui fonctionne, faire plaisir au public puis décider d’aller soudainement à contre-courant, juste pour repousser les limites de leur art. Et si le résultat fait rarement l'unanimité, la démarche, elle, force toujours le respect.

« J’adore Yung Lean », acquiesce aussitôt Charles. « Lui aussi, on l’a longtemps vu comme un clown, comme s’il trollait. Puis finalement, c’est le gars qui a écrit Red Bottom Sky et Agony, des chansons sur lesquelles littéralement tout le monde pleure. »

UNE AFFAIRE DE FAMILLE

Se sentir en décalage a longtemps été une normalité, pour Charles.

Que ce soit à l’école, avec les filles ou même dans l’humour, son profil de « petit bourgeois d’école privée » faisait de lui un ovni dès la porte d’entrée.

Aujourd’hui, son crew rassemble Anas Hassouna, Oussama Fares, Mibenson Sylvain, Erickson Alisme, Antony Giuliani et d’autres figures montantes de la scène humoristique québécoise et francophone. 

@profil_interessant

Un message de la police #fyp #quebec #québec #montréal #montreal #police #spvm

♬ son original - Charles Brunet

Avec eux, il collabore, part en tournée, partage un quotidien et une symbiose qui le laissent encore incrédule.

« C’est comme si on avait fait une équipe de soccer où il n’y avait que des capitaines, mais qui ont réussi à tempérer leurs égos pour collaborer. On s’est reconnus dans un rêve commun et on s’élève chacun au-delà de notre propre talent. »

Et l’humour semble couler autant dans sa famille choisie que dans celle d’origine.

Sa sœur Ariane, qui lui donne souvent la réplique dans ses vidéos, publie désormais ses propres sketchs sur Instagram et YouTube, dont certains filmés et montés par leur petit frère, Alexandre, lui aussi tenté par le monde de l’impro.

« Mon frère est fucking drôle, ma mère est fucking drôle, mon père est fucking drôle », énumère Charles, chanceux d’hériter d’un bassin génétique avec un allèle "rire" aussi omniprésent. 

La relation qu’il entretient avec son père, plus proche de l’amitié fusionnelle que de la hiérarchie parentale, lui a permis de naviguer très tôt l’univers du stand-up. Dès 16 ans, celui-ci l’accompagnait dans les bars de région, « là où être mineur, c’est une notion louche ».

Charles en sourit encore. Son père ne comprend pas toujours tout de son univers, écart générationnel oblige, ce qui ne l'empêche pas d'être fier de lui.

C'est pourquoi, l'humoriste a toujours ce petit regret : la blague préférée et un peu « oncle Georges » de son père ne fait jamais mouche sur scène. Il y est pourtant le personnage principal d’une situation fictive où il effectue un achat si absurde et coûteux que, dans la famille, personne n’ose lui en parler. 

« Il y a un éléphant dans la pièce », termine Charles, l'air très fier de ce punch final.

S'il raconte cette blague sur scène demain, ce sera avec ce même sourire de contentement, qu'elle remporte un franc succès ou tombe à plat. À ses yeux, son seul défaut est de ne pas avoir encore rencontré son public.

« Le rire, c’est un peu un "apporter votre vin". Riez si vous voulez, mais le repas reste le même », tranche pour nous Charles.

Cet écho vous a plu?

Ce n'est que le début 🌀

Malia Kounkou

Malia Kounkou

Journaliste multiplateforme, chroniqueuse radio et créatrice vidéo. Je capture les fantômes du web pour les autopsier à l'écrit.

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